Page 16 - Raison(s) d'Être(s) - Livre 2
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Si vous avez manqué le début
ou intégristes. Ils sont violents, comme tous les gens frustrés
de sens.
Que l'autorité, la légitimité, la stabilité et l'acceptation de
l'ordre politique s'effondrent, ou cessent d'être portées par un
consensus intellectuel et moral, le corps social entrera en
convulsions. Sans croyances communes, sans mythes
collectifs, pas d'ordre politique. Sans ordre politique, le
sentiment d'abandon devient prédominant. Et dès que le
facteur de sens qu'est le besoin d'intégration et d'unité
("l'insupportable abandon") reparaît, les pires déchaînements
de violence ne sont pas loin.
*
On le voit, dans la perspective de la philosophie du sens,
la religion, qui affirme une vérité, a profondément du sens.
Détient-elle pour autant la Vérité ? L'important, c'est de
croire. Je soupçonne que pour le croyant, au bout du compte,
la foi elle-même ne soit plus importante que l'objet de la foi,
Dieu.
C'est ainsi qu'il faut comprendre une des conclusions du
livre précédent, selon laquelle "Affirmer la Vérité a du sens,
mais ce qui a du sens n'est pas la vérité".
*
Dans le bref survol qui précède, j'ai évoqué du livre
précédent l'exemple de la religion chrétienne comme vecteur
de sens et son destin. En fait, toute philosophie part d'un des
facteurs de sens, le plus souvent celui que son époque ressent
comme particulièrement pressant et que l'idiosyncrasie de
son auteur lui fait ressentir d'une manière plus acérée, et
cherche à apaiser la sourde inquiétude qui en émane. Ainsi
Descartes part à la quête de certitudes, Plotin de l'Unité du
monde, Spinoza semble tellement hanté par l'apparente
contingence universelle du monde qu'il pose le caractère
absolument nécessaire des choses telles qu'elles sont. Nous
verrons plus loin Berkeley montrer comment il est
impossible de prouver l'existence d'une réalité extérieure ;
Kant montrer les limites de la capacité de connaître et donc
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